3.1 Le déclic européen:
C'est la réunion du C.C.I.R. en 1986 à Dubrovnik, Yougoslavie, qui a lancé la TVHD en Europe. Le Comité Consultatif International des Radiocommunications est un organe de l'Union International des Télécommunications (U.I.T.) qui a pour mission d'effectuer des études et d'émettre des recommandations sur les questions techniques et d'exploitation se rapportant spécifiquement aux radiocommunications.
Lors de cette assemblée devait être choisie la norme mondiale de diffusion pour les signaux haute définition. Le Japon était le seul pays ayant réellement travaillé dans ce but. Fort de cette avance, il tente d'imposer son standard au point depuis 1981, le MUSE.
Celui-ci permet d'afficher 1.125 lignes sur l'écran; cette définition est celle de la production haute définition japonaise. Incompatible avec le matériel existant, la norme japonaise impose le remplacement des tous les équipements. Les Américains, présents à la conférence, semblent se désintéresser du dossier.
De peur d'être relégués au rang de sous-traitants de l'industrie japonaise, détentrice des brevets de MUSE, si la norme nippone était retenue, les européens ont annoncé qu'une solution européenne était également prête. En fait, le projet était loin d'être aussi abouti que le japonais mais l'effet d'annonce avait fonctionné, les certitudes japonaises avaient été ébranlées et aucune décision définitive n'avait été prise.
La technologie européenne s'appelait MAC. C'est autour d'elle que s'articuleront les discussions et gesticulations à propos de la TVHD en Europe.
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3.2 Un point sur les procédés et les normes:
Pour comprendre ce qui va suivre, il est nécessaire de découvrir les différentes normes de la diffusion télévisée en couleurs.
Une norme de télédiffusion est un procédé de codage des informations composant une image en couleurs. Outre le nombre de lignes définissant l'image, celle-ci est caractérisée par sa fréquence de balayage, c'est à dire le nombre de demi-images affichées par seconde. Une trame définit une demi-image; il faut donc deux trames pour afficher une image complète. Le balayage étant rapide et l'œil ne réagissant pas instantanément aux modifications de la lumière (il conserve un instant l'information lumineuse, c'est la rémanence rétinienne), on ne perçoit pas la décomposition de l'affichage en deux temps. A ce niveau, il ne s'agit que d'afficher les informations propres à la lumière, la luminance.
Par la suite, il faut incorporer les informations de couleurs de l'image, la chrominance.
Le propre d'une norme, c'est "d'ordonner" le codage des informations de luminance et de chrominance avant de transmettre le signal par radio. La même norme est réutilisée dans le récepteur pour afficher l'image sur l'écran, le signal radio étant décrypté "à l'envers" de la même manière.
Il y a plusieurs façons de procéder. Ainsi, les Etats-Unis ont adopté la norme NTSC (abréviation de National Television Standard Committee) en 1953. Ce système affiche 525 lignes et 60 demi-images par seconde (525/60). Le Japon utilise aussi ce système (525/59,94 exactement).
En Europe, deux normes cohabitent: le SECAM (pour SEquentiel Couleur A Mémoire - de caractéristiques 625/50 Hertz) et la PAL (Phase Alternate Line - 625/50). Le premier est français et le second d'origine allemande. La différence se situe justement au niveau du codage des informations de chrominance. On note aussi une différence dans la technique retenue pour transmettre le son. A cet égard, il y a même des versions différentes pour une norme donnée (exemples: SECAM L, L', PAL B, G)
Le procédé français a été adopté en France, dans l'ex-URSS, quelques pays de l'Est de l'Europe et en Afrique francophone.
Le PAL est utilisé en Europe, en Asie (sauf au Japon), en Australie et dans le reste de l'Afrique. Lors de la réunification de l'Allemagne, le SECAM a été abandonné au profit du PAL, standard employé dans l'ex-R.F.A.
Ces trois normes ont cependant quelque chose en commun. Lors du passage du noir et blanc à la couleur (à partir de 1954 aux Etats-Unis, 1967 en Europe) se posait d'une part le problème de compatibilité, les anciens appareils devant recevoir les signaux couleurs et vice versa, et la question de la rareté des fréquences hertziennes d'autre part.
Pour ce qui est de ce dernier problème, il fût décidé que les signaux de télévision couleurs auraient la même largeur de bande dans le spectre. Dans la pratique, cela signifie que toute les informations de l'image devait se trouver dans un canal large de 6 MHz déjà utilisé pour la télévision en noir et blanc. Toutefois, cette contrainte impose de gagner de la place car en plus de la luminance il faut se soucier de transmettre les couleurs. Pour tourner cette difficulté, on transmet simultanément les informations monochromes et chromatiques de chaque ligne. C'est pourquoi de telles normes sont dites "composites".
Ensuite, chaque système comporte quelques particularités quant au moyen de réaliser cette opération, d'où des différences de performances et de fidélité dans les couleurs restituées.
On peut dès à présent donner une des clés de la technologie MAC (Multiplexed Analogue Components). Ici, les informations de luminance et de chrominance ne sont pas transmises simultanément mais alternativement. Une telle technique est dite "à composantes". Un des premiers avantages de ce procédé est d'éviter les phénomènes de "diaphotie" qui existent avec des normes composites. Citons un exemple assez courant: Un présentateur porte un vêtement à tissu finement rayé. En dépit du procédé prévu pour différencier les informations de luminance et de couleurs, les raies du tissu seront interprétées comme des informations de chrominance, surtout si la personne est en léger mouvement. Il en résulte des aberrations de couleurs dans l'image et un effet de scintillement de la partie "mal reconnue".
La famille MAC est née de travaux britanniques. En plus de ses qualités d'image, elle offre un son traité par voie numérique, de haute qualité. Pour ce faire, les caractéristiques de l'information sonore sont interprétées comme une suite de nombres binaires (0 et 1, comme en informatique). A la réception, un décodeur effectue le même travail, mais de façon inverse, les suites de chiffres permettant de recréer le son.
L'image est toujours traitée par voie analogique, c'est-à-dire que le signal radio est modulé de façon analogue aux caractéristiques de l'image. Ce point est important; il sera par la suite maintes fois reproché aux normes MAC.
Pour profiter pleinement des améliorations de cette nouvelle norme, le canal de transmission doit être suffisamment large (le signal MAC "prend de la place") et la séparation de la luminance et de la chrominance doit être maintenu tout au long de la chaîne de l'image, de la production à la reproduction, en passant par l'enregistrement et la transmission.
En 1983, L'Union Européenne de Radiodiffusion (l'U.E.R. est une association volontaire de radiodiffuseurs qui travaille par recommandations) a adopté la norme MAC comme norme de télédiffusion évolutive. Le premier choix se porte sur le C-MAC. Par la suite on s'est heurté au problème de la taille du signal dont la bande passante était trop large; ainsi le signal pouvait facilement se diffuser via le satellite mais les difficultés apparaissaient lorsqu'on utilisait le réseau câblé car peu de programmes pouvaient "cohabiter" avec des signaux MAC, ceux-ci utilisant beaucoup de place. Les ingénieurs ont alors développé une version à capacité réduite, le D2-MAC (625/50).
Indépendamment de toute contingence, aucune norme n'est dédiée à tel ou tel moyen de diffusion (voie hertzienne, satellite ou réseau câblé).
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3.3 Lancement de la TVHD en Europe:
Pour donner un cadre au développement de la télévision haute définition en Europe, la Communauté économique européenne a tout d'abord pris deux décisions importantes: le lancement du programme Eurêka 95 et la directive D2-MAC de 1986.
3.3.1 Le programme Eurêka et Eurêka 95:
Le programme européen Eurêka a été lancé par François Mitterrand en 1985 en réponse au projet américain IDS (Initiative de Défense Stratégique - Ce projet visait à mettre en place au-dessus des Etats-Unis un bouclier antimissiles constitué d'un réseau de satellites militaires). Il s'agissait de faire définir des projets par des équipes de recherches et des industriels européens en fonction de la viabilité ou de l'importance stratégique de leurs objectifs et de cofinancer ces projets par des fonds européens publics mais aussi privés. Eurêka ne finance pas directement. Il incite les industriels et les centres de recherche privés et publics à coopérer. Le programme donne un label aux meilleurs projets. Grâce à ce label, les projets peuvent obtenir des aides d'Etat.
Eurêka a accueilli 400 projets en cinq ans et reçu la collaboration de plus de 2.000 entreprises européennes (dont 3% de PME). La part française dans ce programme est d'environ 25%. Au total, ce sont plus de 70 milliards de francs dont 30% de fonds publics qui auront été investis dans Eurêka.
Ce sont surtout les projets concernant les technologies de communication et de l'électronique qui ont retenu l'attention. On peut citer Prometheus pour l'électronique appliquée à l'automobile, Jessi (Thomson, Philips et Siemens) pour les composants électroniques (26,5 milliards de francs sur neuf ans) et Eurêka 95 pour la TVHD (5,2 milliards de francs sur sept ans).
L'objectif d'Eurêka 95 est de définir un système complet de télévision haute définition. Près de trente sociétés font partie de ce consortium dirigé par les principaux acteurs européens de l'électronique: Philips (Pays-Bas), Thomson (France) et Bosch (Allemagne). Le travail d'Eurêka a été divisé en dix groupes de projet. Dans chacun de ces groupes, on retrouve des industriels, des centres de recherche universitaires, des diffuseurs de tous les pays.
Il y a eu plusieurs phases dans le déroulement du projet:
° La première phase, de 1986 à 1987, a été consacrée à la définition du projet que ce soit en terme d'objectifs ou de moyens.
° La seconde phase, de 1987 à 1989, a été une phase conceptuelle qui a permis de déterminer les principaux paramètres du système proposé. Ceux-ci ont été définis comme suit:
- norme de production: 1 250 lignes à 50 Hz., 16/9, balayage progressif
- norme de diffusion : HD-MAC 1 250 lignes, 50 Hz., 16/9, balayage entrelacé.
Le HD-MAC (High-Definition MAC) est une norme à technologie MAC diffusant une image de 1 250 lignes. Là aussi, l'image est transmise de façon analogique et le son de façon numérique. Le balayage entrelacé est le système des deux demi-trames par seconde que nous avons décrit précédemment. Dans un système de balayage progressif chaque image est transmise en entier -donc 50 images par seconde plutôt que 25 dans le cas de la méthode entrelacée (50 fois 1/2 image).
° La troisième phase, de 1989 à 1992, était la phase de fabrication des équipements et de démonstration de la maîtrise de la chaîne de l'image. En juillet 1990, un pool européen des équipements TVHD a été constitué, Vision 1 250. L'objectif de Vision 1 250 est de faciliter l'accès aux producteurs à du matériel de production et de post production haute définition. Nous reviendrons sur Vision 1 250 ci-après.
° La quatrième phase, de 1992 à 1995, doit servir à l'introduction et à la promotion de services haute définition à travers toute l'Europe. Il s'agit aussi bien de multiplier les démonstrations de TVHD que d'encourager la réception individuelle.
La création de Ciné-Mac TV en France entre dans cette stratégie. Ciné-Mac TV est une association regroupant des sociétés de programmes, des cablô-opérateurs, des industriels, des distributeurs de produits bruns, des opérateurs de télécommunications et TDF. Elle disposait d'un budget de 5 millions de francs en 1991. Elle a pour objectif d'informer le grand public des possibilités offertes par les D2-MAC et de ses conditions d'utilisation. Autant dire qu'avec des ressources aussi faibles ses possibilités en matière de communication sont limitées.
° La cinquième phase, à partir de 1995, devait servir à faciliter l'offre de chaînes de télévision en TVHD sur certains réseaux à certaines heures de la journée, produit en 1.250 HD et diffusé en HD-MAC. Hélas, la vitesse à laquelle la recherche et les techniques progressent aurait du pondérer l'esprit visionnaire des concepteurs du présent calendrier. Il était irréaliste en 1986 de bâtir des plans à dix ans en matière d'électronique. Cette phase, ainsi décrite, est d'ores et déjà compromise.
A côté de cette coopération technologique entre industriels européens, on peut noter deux programmes de soutien à la production en TVHD: Eurêka audiovisuel et le club d'investissement Média.
Composé de vingt-huit membres, Eurêka audiovisuel est un système d'information, une structure d'accueil et un réseau de coopération. Il fournit des informations sur les possibilités de financements publics et favorise les contacts entre les concepteurs de projet TVHD et les sources de financement privés. Eurêka audiovisuel n'a pas de fonds propres.
Dans le cadre du programme Média de la CEE, le club d'investissement Média a plusieurs objectifs complémentaires aux initiatives d'Eurêka:
- prendre en charge une partie significative du surcoût de production en TVHD pour favoriser la création;
- promouvoir les projets d'envergure internationale;
- favoriser l'intégration des techniques nouvelles dans les projets de production et de distribution audiovisuels.
A la fin de 1991, douze programmes haute définition ont reçu une aide qui représentait environ 10% de leur financement, soit un peu plus de 1 million d'ECU.
3.3.2 La directive D2-MAC de 1986:
Le D2-MAC est la version à définition réduite de la norme européenne de télévision haute définition européenne. En attendant que la norme 1 250/50 soit prête, il est apparu souhaitable de proposer immédiatement un système opérationnel pour sensibiliser le public à la haute définition. Le D2-MAC est choisi par les industriels, puis par les pouvoirs publics, comme intermédiaire vers le HD-MAC, qui sera au point vers 1995. Il faut donc promouvoir le développement du standard par une diffusion de programmes dans celui-ci et par la mise sur le marché de téléviseurs ad-hoc.
Le 3 novembre 1986, le Conseil des communautés européennes a adopté la directive D2-MAC qui imposait aux satellites de diffusion directe (D.B.S. pour Direct Broadcasting by Satellite) de diffuser en D2-MAC. Elle concerne les satellites de forte puissance (plus de 200 watts par tube). Cette directive est restée valable jusqu'au 31 décembre 1991. Elle devait favoriser l'émergence du D2-MAC en Europe.
Cela n'a pas été le cas en raison du champ d'application de la directive qui ne comprenait pas les satellites de faible puissance ni ceux de moyenne puissance. Ces derniers sont les grands animateurs de la télévision par satellite en Europe.
Il est un couple de satellites français
pour lesquels cette directive était applicable, TDF 1 et TDF
2...
(Cette partie est largement inspirée des travaux de
François De Closets exposés dans son Ouvrage Tant Et
Plus, NDLR)
3.3.3 La saga TDF 1/2:
1988: Lancement de TDF 1, satellite dont le projet remonte à l'automne 1979 dans le cadre d'un programme franco-allemand de télévision spatiale. Il convient ici de s'arrêter sur cette "aventure TDF 1" qui traduit un comportement que l'on retrouvera non seulement dans certains aspects du dossier TVHD européen mais aussi au cours de toute l'histoire de la télévision en France: argumentation technique déplacée, démagogie, irresponsabilité politique, désinformation et lobbying.
La France s'occupe de TDF 1 et la R.F.A. fabrique TV SAT 1. Conformément aux décisions de l'Union Internationale des Télécommunications (U.I.T.) prises en 1977, ce satellite est de forte puissance d'émission. La forte puissance avait été choisie pour permettre une réception avec des antennes paraboliques de 90cm de diamètre. Cette taille a été retenue afin que chaque téléspectateur puisse installer une parabole sur son toit sans faire appel à des instruments de levage.
La parabole a pour office de concentrer le signal d'émission sur la tête de l'antenne. Plus le signal est émis faiblement, plus celui-ci est faible à la surface de la Terre et a besoin d'être concentré pour être utilisé. Il faut donc "un concentrateur" en rapport avec "le travail à effectuer".
TDF 1 est, selon la distinction de l'époque (1979), un satellite "de diffusion" car ses signaux peuvent être captés aisément avec un matériel léger, accessible au grand-public. A l'inverse, les satellites "de transmission" sont destinés à une utilisation professionnelle. Ils émettent avec de faibles puissances de l'ordre d'une vingtaine de watts (exemple: Télécom 1, 20 watts; lancé en août 1984). Pour capter leurs signaux, on doit disposer d'antennes de plusieurs mètres de diamètre; d'où la référence aux engins de levage.
A l'origine, ce gros satellite de 19 mètres d'envergure et de plus de 2 tonnes devait être lancé par Ariane 2 à l'horizon 1984. Il ne le sera que quatre ans plus tard; pourquoi tant de retard? On peut trouver, au minimum, trois raisons à cela:
1- En 1981, le "Plan Câble" est lancé en France. Avec une incroyable multiplication d'erreurs et une forte dose de dogmatisme dans les décisions techniques et politiques s'y rapportant, ce plan accapare les techniciens, les responsables des télécommunications et les finances publiques durant la décennie 80.
Dès le départ le plan se perd dans les méandres des discussions sur les mérites réels ou supposés de telle ou telle technologie et fait l'impasse sur l'utilisation rationnelle des réseaux. Aussi, le Gouvernement "lance" de nouvelles chaînes hertziennes: Canal+ en 84 (suivront La Cinq et TV6 en 1986). De plus, des rivalités existent entre les participants au projet.
Les constructeurs se heurtent aussi à de réelles difficultés sur le terrain lors des essais des installations. Il s'ensuit des retards et une envolée incontrôlée des coûts. Ces problèmes portent préjudice aux études sur TDF 1. En dépit d'une réorganisation du "Plan Câble" à la fin des années 1980, le programme continue de souffrir de la répartition des tâches entre France Télécom, qui effectue l'installation, et les opérateurs qui placent les abonnements. A cause de l'accumulation des déficits, les opérateurs sont incapables de pratiquer des tarifs d'appel qui faciliteraient la pénétration du câble.
2- TDF 1 est un satellite de forte puissance. Il utilise des tubes d'émission de 230 watts, soit dix fois la puissance régulièrement utilisée à l'époque. Les techniciens (Thomson puis... Telefunken qui fournit aussi TV SAT 1) ont recours à des Tubes à Ondes Progressives (T.O.P.) qui sont portés à l'extrême limite de leurs possibilités. Cette utilisation fragilisante ainsi que le manque de fiabilité de ces composants retardent la mise au point d'un engin opérationnel. A titre d'information, un lot de tubes défaillant se traduit par dix-huit à vingt-quatre mois de retard (incident d'octobre 1984 rapporté par Roland Mihaïl dans le journal Le Point). Pour la fabrication de ces tubes "en configuration espace", il faut tenir compte, d'une part, du vide spatial imparfait qui rend l'étanchéité du tube dificile à maintenir, et, d'autre part, de l'absence d'atmophère qui empêche un échange thermique aisé avec le milieu ambiant. Il faut, en effet, lutter contre le fort dégagement de chaleur provenant du fonctionnement de ces composants.
Mais les difficultés ne tiennent pas seulement à la puissance de l'émission; le pointage du satellite et son architecture électrique posent des problèmes tout aussi ardus. Là aussi, ces incessants déboires sont gros consommateurs de fonds publics.
3- Dès 1984 on sait que le satellite ne pourra être lancé avant 1986.
1986, année de l'alternance politique en France. La nouvelle équipe au pouvoir découvre le chantier TDF 1.
Non seulement l'engin n'est pas fiable à cause des options techniques retenues, mais l'avenir de la diffusion directe spatiale est acquis aux satellites de moyenne puissance. Beaucoup plus sûrs, moins chers à fabriquer, ils offrent aussi des tarifs de location des canaux moins élevés (30 MF contre 200 MF). Ces derniers sont aussi en plus grand nombre, 16 en moyenne contre 5 pour la forte puissance, seuil maximal par pays fixé par l'U.I.T. en 1977.
Ce sont les progrès dans le domaine de la réception qui autorisent désormais le téléspectateur à s'équiper en paraboles de diamètre réduit. La sensibilité des antennes s'étant accrue, on peut maintenant diminuer la puissance d'émission en orbite. Une partie indispensable de ces nouvelles antennes, la tête, est le fruit de travaux d'origine japonaise.
Le Gouvernement doit se prononcer sur le maintien du programme TDF 1... et autorise le lancement de TDF 2. Il y a en effet deux satellites de la famille TDF car devant les problèmes de tenue du numéro 1, TDF a jugé utile de fabriquer le numéro 2, selon les mêmes plans. Il est destiné à relayer le premier en cas de défaillance et à diffuser davantage de programmes. Comment expliquer un tel choix de la part du pouvoir ?
A la base de tout, il y a cette éternelle difficulté d'arrêter un programme, une difficulté qui joue alors même que le gouvernement n'a rien à se reprocher puisqu'il n'est pas à l'origine du projet. Elle est d'autant plus grande qu'il se forme un véritable front contre un rapport sur les satellites de forte puissance remis deux ans auparavant au gouvernement de Pierre Mauroy et qui continue à faire parler de lui. L'auteur en est Gérard Théry, un ancien directeur de la Direction Générale des Télécommunications (D.G.T). Il affirmait la supériorité des satellites de moyenne puissance et en expliquait les avantages au niveau de la fabrication d'antennes, des exploitants de chaînes qui "montent" sur de tels engins ou de la réception chez les particuliers. Dans ses conclusions, M. Théry proposait de mener TDF 1 jusqu'à son terme mais uniquement à titre expérimental. Un service opérationnel serait voué à l'échec. Le rapport fait scandale chez les parties qui défendent TDF 1.
Les initiateurs du programme auraient pourtant tout intérêt à saisir l'opportunité qui s'offre à eux de se tourner vers la moyenne puissance. Les ingénieurs qui ont conçu TDF 1 défendent LEUR satellite avec vigueur. Les arguments économiques et commerciaux n'ont pas prise sur eux. De plus, le rapport a été rédigé par un homme de la D.G.T., "institution" que TDF déteste, et vice versa; on ne saurait s'y ranger sans perdre la face.
Si l'on peut comprendre les sentiments des ingénieurs, il est plus difficile de comprendre la position des industriels. Cela serait l'occasion d'oublier les fameux tubes de 230 watts et leurs défauts. C'est une volonté de particularisme technique. Comme nous l'avons vu en première partie, il s'agit de protectionnisme déguisé.
En utilisant des techniques particulières, les industriels espèrent retarder ou bloquer les produits étrangers. Cette stratégie va aussi inspirer tout le développement de la norme D2-MAC. Elle a aussi joué en faveur de TDF 1/2, mais en symétrique, le particularisme ne consistant pas dans le cas présent à adopter un procédé original mais à refuser un progrès technique. En effet, la forte puissance peut se capter avec des antennes classiques alors que la moyenne puissance réclame des têtes sophistiquées, demandant un savoir-faire mal maîtrisé en Europe à l'époque. Adopter la moyenne puissance pour un satellite "vitrine technologique de la France" oblige donc à rivaliser avec les Japonais dans une technique où ils possèdent une certaine avance. Au risque de leur abandonner tout le marché si l'on ne parvient pas à la maîtriser. Il vaut donc mieux s'en tenir là.
Enfin, le lobby sait s'adapter à l'ambition politique et culturelle des gouvernements et délivrer un message adapté. En multipliant les canaux, les satellites de moyenne puissance font perdre à l'Etat la maîtrise de la télédiffusion. Seul le projet actuel assure le contrôle public sur les images diffusées. A ces raisons s'en ajoute une autre: Ces satellites sont présentés comme indispensables pour imposer la nouvelle norme de TVHD européenne MAC. Abandonner maintenant, c'est, assurément, liquider toute notre industrie de la télévision au seul bénéfice des Japonais.
1987: Le financement de TDF 2 n'est pas assuré. Les opérateurs de chaînes ne sont pas davantage séduits pour faire "monter" leurs programmes sur le satellite. Les ministres des Télécommunications, de la Culture et du Budget demandent au Premier Ministre, Jacques Chirac, de reconsidérer sérieusement la situation des satellites qui sont lentement montés, ou démontés, dans les laboratoires. Hésitant, le Premier Ministre est cependant prêt à renoncer à TDF 2 si son financement privé n'est pas trouvé dans les trois mois. De son côté, le Ministère des Finances sait, grâce à une étude commandée à un ancien collaborateur de M. Théry, que lancer TDF 1 ou y renoncer coûterait environ le même prix, soit 2,2 milliards, compte tenu des indemnités à verser en cas d'arrêt total et immédiat. En revanche, la fabrication et le lancement du deuxième TDF représenteraient une dépense supplémentaire de 1,5 milliard. Il serait logique de continuer TDF 1 et d'abandonner TDF 2. Et non! On fera tout.
Comment le lobby a-t-il pu triompher des faits? Car l'opposition de l'avant 1986 avait décidé de suivre le chantier TDF 1 avec pour souci premier de veiller au bon usage des fonds publics. Le Gouvernement a reçu "des conseils de prudence". Politiquement, ils sont justifiés; rien ne prouve que l'opinion publique acceptera l'arrêt de programmes d'une telle ampleur sans apporter la preuve de l'erreur. En son absence, le public risque de ne voir qu'une incurie de la part des politiciens, qu'un gaspillage. C'est un piège pour n'importe quel gouvernement. Le contexte de la Cohabitation amène les hommes politiques à faire, plus que jamais, preuve de prudence de peur d'être "coincés" par leurs adversaires sur des dossiers gênants.
Les industriels font aussi valoir que les antennes classiques seront moins chèr
es. Des informations transmises à la presse font état d'un rapport de 1 à 5 face aux "têtes sensibles". En fait, le prix dépend de la longueur des séries industrielles, elles-mêmes en relation avec l'offre de programmes. Or TDF 1/2 n'offrent que 5 canaux; les satellites du nouveau type, trois fois plus.
On utilise aussi le dénigrement systématique des systèmes concurrents. La moyenne puissance n'offre que des images de piètre qualité assure TDF. Des démonstrations sont effectuées pour justifier ces dires. Toutefois, en voyage en Algérie, un ministre français a la surprise de découvrir une image, parfaitement restituée, parvenant du satellite Télécom 1, capté avec une parabole de 90 cm. Des experts lui avaient assuré qu'une station professionnelle était nécessaire...
L'approche des élections Présidentielles de 1988 modifie les priorités du moment et personne n'a tranché.
Dès son arrivée au poste de Premier Ministre, Michel Rocard est informé du dossier. Il qualifie de <<détestable et scandaleux>> le fait que tant de fonds aient été engagés dans le programme <<sans la moindre certitude de bonne fin>>. Cependant, il est vraiment tard pour abandonner, même pour TDF 2. En juin 1988, TDF 1 est transporté à Kourou, en Guyane. Fin octobre, un Concorde spécial est affrété par Télédiffusion de France pour que 100 hôtes de marque assistent au lancement du premier satellite. Aucun ministre ne prend cet avion.
TDF 1 est lancé le 28 octobre 1988, neuf ans après la décision initiale de sa construction. Les programmes qu'il diffusera ne sont encore pas définis. Le "bouquet" sera composé par le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel et présenté au printemps 1989. Conformément à la directive de 1986, le satellite TDF 1 doit diffuser en D2-MAC.
En fait, il semble qu'en 1986 la Commission européenne ait suivi la position de la France. Les ingénieurs français avaient deux soucis: la défense de D2-MAC, qui commençait à essuyer de nombreuses critiques, et le sauvetage du projet TDF 1/2. Avec cette directive, on liait les deux, ce qui était fort appréciable.
De plus, parmi les cinq chaînes disponibles sur le satellite, 3 sont cryptées. Non seulement il faut un transcodeur D2-MAC/SECAM externe, le Decsat, pour regarder l'image sur un téléviseur classique (aucun modèle recevant le D2-MAC n'étant commercialisé) mais un décrypteur spécial, adapté au standard employé, est requis pour les fameux programmes cryptés (système Eurocrypt). Il s'agit apparemment d'un appareil difficile à mettre au point puisque le fabricant mettra dix-huit mois pour distribuer les "transcodeurs-décrypteurs".
C'est ajouter un obstacle supplémentaire au développement rapide du D2-MAC que d'installer des chaînes à péage qui entraînent une charge supplémentaire pour le téléspectateur. Aussi, les programmes diffusés en D2-MAC par TDF 1/2 étaient convertis sans exception à partir des normes PAL ou SECAM. Cela fait perdre tout l'avantage que la norme à composantes a dans la restitution des couleurs.
TDF 2 est lancé le 13 août 1990.
Le 6 février 1991 une commission d'enquête confirme que TDF 1 connaît problèmes techniques sur problèmes techniques, justement au niveau des émetteurs comme c'était prévisible. Résultat: un tube Thomson est devenu inutilisable en juillet 1990, un tube Telefunken en septembre. En octobre de la même année, TDF 2 perd deux tubes Thomson au sortir d'une éclipse. Sur les 12 T.O.P. de l'ensemble des deux satellites, seuls 8 restent opérationnels et la crédibilité technique du système s'est effondrée. Les incidents sont intervenus alors que les satellites n'étaient pas encore utilisés pour la diffusion de programmes.
Trois ans après le premier lancement, le parc d'antennes ne dépassent pas 10.000 unités. En 1990, Télédiffusion de France affirmait <<Les études menées à ce jour prévoient que d'ici à l'horizon de 1992 ou 1993, plus d'un million d'antennes et d'équipements de réception des satellites seront probablement vendus chaque année>>. Les programmes proposés sont Canal Plus, Antenne 2, la Sept et Euromusique. Les canaux sont loués 20 millions de francs par an (à l'origine, le prix devait être de 200 millions, puis 130 millions, puis 55 millions, puis 35 millions) et même concédés gratuitement pour la chaîne musicale.
Voilà comment, à partir d'une idée séduisante à l'origine et d'un programme bien pensé, on se retrouve dans une position détestable sur tous les plans. C'est le résultat d'un volontarisme dérisoire de la part des uns et d'une manière de gérer les problèmes reposant sur des certitudes dogmatiques de la part des autres.
Le 27 avril 1989, le Conseil des communautés européennes a précisé la stratégie européenne en matière de TVHD. Il s'agit surtout de mesures d'encouragement en matière de production et de promotion des activités en la matière. C'est surtout à travers le programme Eurêka que ces objectifs sont poursuivis.
On peut noter encore une des dernières réalisations commune en matière de télévision haute définition européenne: Le groupement d'intérêt économique européen (G.I.E.E.) Vision 1 250.
3.3.4 Vision 1 250:
Le groupe Vision 1 250 a été créé en juillet 1990. Il est chargé de la promotion de la norme de production haute définition 1 250/50, notamment en facilitant la production de programmes. Cette méthode a pour avantages:
- de familiariser les réalisateurs, radiodiffuseurs et autres acteurs à la production TVHD;
- de constituer une vidéothèque servant de base à la mise en place d'un service permanent;
- d'organiser des démonstrations avec des moyens importants;
- d'associer de manière efficace les fabricants de matériels et leurs utilisateurs.
Fin 1992 le groupe comptait 34 participants issus des divers secteurs de l'industrie de la télévision; notamment des membres de l'U.E.R., des fabricants, des représentants d'entreprises indépendantes de cinéma et de télévision. Y participent aussi des autorités en matière de transmission. La réalisation des objectifs du groupe passe par une collaboration avec la Commission européenne.
Le principe de fonctionnement est le suivant: les fabricants membres de Vision 1250 (essentiellement BTS et Thomson) fournissent le groupe en équipement avec, le cas échéant, un soutien de leur gouvernement national. Ce sont les fabricants qui entreposent le matériel et assurent son entretien (mais ils ne financent pas celui-ci). Puis, Vision 1250 met le matériel à la disposition des participants qui souhaitent réaliser des programmes TVHD, leur fournissant également assistance technique et formation. Cette initiative bénéficie du soutien de la Commission européenne, qui finance l'assistance technique, l'entretien et la formation. Une aide financière est aussi fournie pour les démonstrations et la promotion.
Le financement s'effectue de la façon suivante:
- Les frais généraux sont couverts par la cotisation annuelle des membres (40.000 ECU).
- Les fabricants mettent gratuitement leur matériel à disposition.
- Les producteurs de programmes financent eux-mêmes leur production, y compris les frais de personnel.
- La Communauté européenne finance l'entretien du matériel, la formation du personnel et les activités de promotion.
3.4 Les obstacles sur la voie européenne:
3.4.1 D2-MAC: une norme et une promotion discutées:
Dès l'origine de la promotion des normes MAC en tant que support de la future TVHD européenne des critiques ont été émises pour dénoncer les faiblesses des techniques et des options retenues. Mais c'est surtout en 1991, année où la directive de 1986 était renégociée, que les commentaires fuseront de toutes parts. Cette période était l'occasion de faire le point sur l'état du dossier. L'un des principaux reproches faits à la voie européenne est d'instituer la transition D2-MAC entre les normes actuelles et le HD-MAC. Cette étape n'a jamais été totalement justifiée de manière convaincante.
Dans un premier temps, les instigateurs du D2-MAC jouèrent sur le doute qui existe entre "transition vers la HD" et la haute définition elle-même. Dans une documentation TDF on peut lire << Le téléspectateur qui bénéficie de surcroît d'une image à haute définition y trouve un plaisir nouveau et plus personnel >>. Ailleurs TDF explique << L'image est plus fine, plus pure et sa définition sensiblement améliorée >>. Ainsi, on parle tantôt de << transition vers la haute définition >>, tantôt d'une <<définition améliorée>>. Cela peut donner à croire au téléspectateur qu'il entre effectivement dans le monde de la haute définition.
Par la suite, les promoteurs du standard expliqueront, ce qui est vrai, qu'un poste D2-MAC pourrait recevoir un signal HD-MAC (avec une définition d'image classique, 625 lignes). Les téléviseurs des deux standards sont en effet compatibles. S'équiper avec des appareils de génération intermédiaire ne priverait donc pas les téléspectateurs d'images dans le futur. On peut donc tout de suite s'équiper, en D2-MAC.
Or les progrès du transcodage entre normes vont rapidement bouleverser les données du problème. Les decsat ou visiopass, qui permettent de recevoir sur un récepteur PAL ou SECAM des programmes transmis en D2 MAC (respectivement à partir du satellite ou du câble) pourraient faire le même exercice à partir d'un signal HD-MAC. Dans ces conditions, tous les postes anciens équipés d'un "super transcodeur" seraient capables de recevoir des programmes émis en haute définition HD-MAC. Il n'est donc pas nécessaire de passer par la norme intermédiaire.
Alors, le D2-MAC ne peut plus être présenté comme la fameuse étape indispensable pour assurer la compatibilité. Ce point technique sera caché et la presse n'y fera pas allusion.
Pour revaloriser la norme D2-MAC en dépit de l'insuccès flagrant de son entrée initiale, les industriels français et néerlandais ont imaginé une nouvelle voie, présentée à l'Europe comme une stratégie, mais qui s'est bien vite révélée être une tactique déguisée visant la vente de nouveaux récepteurs et la collecte de fonds communautaires: Présenter D2-MAC en version 16/9 comme doit avoir la version HD-MAC. Cela traduit de manière visible la transition des anciennes normes au D2-MAC.
Malheureusement, le premier téléviseur 16/9 présenté par Thomson en 1991 est proposé avec un écran de 93 centimètres. Or le créneau des écrans de grande dimension ne concerne que 2% du marché des téléviseurs (en 1992, sur 21 millions de téléviseurs vendus en Europe, on ne compte que 50.000 récepteurs à écran large). Si l'on ajoute le prix demandé, 35.000 francs, on comprend qu'un distributeur ait annoncé que l'appareil était "complètement hors marché". Bien que conscients de la nécessité d'ouvrir un peu plus le marché, les fabricants attendront 1993 pour descendre à des dimensions moins importantes.
Encore faut-il avoir des programmes à présenter. En France, quelques chaînes diffusent en D2-MAC: France Supervision, Canal Plus (la SEPT également, jusqu'à sa disparition).
France Supervision est un département de France 2. L'organisme n'a pas de personnalité morale et vit de budgets alloués par la chaîne publique. Ses ressources 1993 sont de 100 MF. Sa création remonte à 1991. La première année 300 heures de programmes ont été diffusées, 1.000 en 1992 (année où la Lyonnaise des eaux l'a installé sur son réseau câblé) et l'objectif pour 1993 est de 2.000 heures. Les programmes sont constitués de retransmissions sportives (certaines produites spécialement en 16/9 comme celles de Roland Garros par exemple.) et de films diffusés par France 2 ainsi que de quelques productions propres. Depuis avril 1993, un film de France 3 est diffusé par semaine. L'offre de programmes originaux manque peut-être d'intérêt pour attirer un public nombreux; parmi les sports proposés en exclusivité sur France Supervision (c'est-à-dire non diffusés sur France 2/3) on trouve des matchs de football entre clubs de deuxième division et les accords d'exclusivité liant France Télévision au Palais Omnisports de Paris-Bercy ne visent pas les spectacles musicaux.
Ce sont les programmes des chaînes 4/3 qui sont repris, pas l'inverse. On estime à 100.000 le nombre de foyers qui recevront la chaîne fin 1993. France Supervision était diffusé par TDF 2 et Télécom 2 jusqu'en juin 1993. Depuis, suite à des contraintes budgétaires, seul Télécom 2 reste utilisé.
Diffuser en 16/9 impose des prises de vues respectant ce format. Pour les films, il faut réaliser des copies adaptées. Les droits acquis par France 2 pour ses diffusions classiques n'autorisent pas la diffusion simultanée sur le canal 16/9. En conséquence, il faut obtenir une autorisation nouvelle.
***
En dehors des obstacles à la vulgarisation du D2-MAC, quant à la disponibilité du matériel de réception et à l'offre de programmes, l'opposition farouche des producteurs et radiodiffuseurs, opposés à des mesures trop coercitives et à des choix inadaptés, et les dissensions entre partenaires européens seront des éléments majeurs du déclin, puis du renoncement, dans la filière MAC.
3.4.2 Tirs de barrage lors du ré-examen de la directive D2-MAC:
En juin 1991 les premières discussions s'engagent au sein de la C.E.E. sur le renouvellement de la directive de 1986 dont le terme est fixé au 31 décembre 1991. Réunis à Luxembourg, les ministres des P & T de la Communauté Européenne sont divisés sur une proposition de la Commission d'introduction progressive de la norme de diffusion D2-MAC dans la CEE pour préparer la bataille de la TVHD. La France, les Pays-Bas et l'Allemagne demandent davantage de contraintes pour obliger les opérateurs de satellites à utiliser la norme en question.
A l'opposé, la Grande-Bretagne, le Luxembourg, l'Espagne et à un degré moindre, l'Italie avertissent que l'introduction de la norme D2-MAC ne doit pas entraîner de sacrifices trop importants pour les opérateurs travaillant avec les normes actuelles (PAL et SECAM), ni pour les téléspectateurs qui devraient éventuellement recourir à des décodeurs.
Selon le ministre français de l'époque, M. Jean-Marie RAUSCH, les divergences étaient "négociables" et disait qu'il n'était "pas pessimiste du tout sur la suite des négociations". Cette réaction traduit bien l'incompréhension et le manque de lucidité qui régnaient parmi les membres de la Communauté; ces divergences n'étaient pas si négociables que M. RAUSCH le signifiait car les partenaires européens avaient de sérieuses raisons pour camper fermement sur leurs positions; raisons techniques mais aussi et surtout politiques et financières. Commençons par étudier la position française.
Le relatif échec de la norme D2-MAC devait gêner les autorités françaises plus que les autres. Non seulement en raison des investissements lourds que l'industrie électronique nationale (Thomson) avait engagés dans le développement de la norme, mais également parce qu'elles avaient misé très gros sur la nouvelle norme dans laquelle elles voyaient une relève du SECAM.
Celui-ci avait été choisi unilatéralement et de manière peu élégante en 1965. Cette année là, l'Union Européenne de Radiodiffusion (U.E.R.), réunie à son siège de Genève, devait s'accorder sur la future norme européenne de télédiffusion en couleurs. La France souhaitait faire partager à ses partenaires ses vues sur le procédé SECAM, développé à partir de 1953 par Henri de France de la société Radio-Industrie. Le système est viable mais techniquement "alambiqué".
Les autres membres de l'U.E.R., dans leur grande majorité, accordaient davantage d'attention au procédé PAL, de qualité visuelle et sonore égale mais surtout plus simple du point de vue technique. Ce système est né des travaux de M. Walter Bruch de la société Telefunken entrepris en 1963 à partir de la norme américaine NTSC.
Les débats à venir, quoique visiblement "orientés PAL et NTSC", pouvaient toutefois être constructifs et démontrer une cohésion au sein de l'U.E.R.
Craignant d'être ridiculisée lors des débats par le nombre des détracteurs du standard français, la France signa un accord avec l'URSS trois jours avant le début des négociations, instituant le SECAM comme norme de télédiffusion couleur pour elle et l'URSS, ce qui rendait inutile sa participation aux discussions. La décision du SECAM était dictée par une question d'opportunité politique.
Ce standard sera ensuite "conseillé" dans les régions du monde où la France et l'URSS avaient respectivement de l'influence, à savoir l'Afrique francophone et les pays de l'Europe de l'Est.
Or l'évolution dans les exigences techniques au cours des années a mis à nu toutes les faiblesses du SECAM par rapport au PAL. Dès le début de l'exploitation réelle des réseaux couleurs en France la norme SECAM nécessita de multiples évolutions; ce ne sont pas moins de quatre qui furent nécessaires pour arriver à l'aboutissement d'aujourd'hui (aussi, pour ne pas afficher clairement les quatre développements successifs, la quatrième version fût-elle baptisée "3B").
De plus, en 1991, alors qu'en Allemagne se développait une version PAL-plus compatible avec les récepteurs existants, mais offrant de nouveaux atouts à l'image (16/9 disponible) et au son (stéréophonique), la France devait se rendre plus que jamais à l'évidence du plafonnement technologique de la norme traditionnelle.
Dans cette optique, l'adoption à l'échelle européenne de D2-MAC aurait permis à la France de sortir avec élégance du ghetto qu'elle avait jadis choisi d'occuper avec l'adoption du SECAM, et ce, sans perdre la face, ce qui aurait été le cas si le remplacement avait dû se faire en faveur d'une norme de la famille PAL.
La position des Pays-Bas s'explique surtout par l'entreprise de lobbying de la société Philips qui, comme Thomson en France, a très lourdement investi en recherche et développement pour D2-MAC et subit de violentes attaques de la part des adversaires du standard. Voilà pour le camp des défenseurs du D2-MAC.
Du côté des opposants, on constate qu'ils agissent également par rapport au positionnement de leurs acteurs économiques du secteur de la télédiffusion. Ainsi, le Luxembourg, hostile à une obligation trop stricte d'émettre en D2-MAC imposée aux opérateurs de satellites, ne fait que suivre la ligne adoptée par ses principales entreprises du secteur audiovisuel. D'une part, la Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion, opérateur privé de plusieurs chaînes en Europe, dont le rôle "d'inducteur" dans la vie politique et culturelle du Grand-Duché est certain. D'autre part, la Société Européenne des Satellites (S.E.S., société luxembourgeoise) - exploitante du satellite ASTRA et grande animatrice de la diffusion de programmes commerciaux par satellites en Europe. La S.E.S., devant le faible nombre de téléspectateurs équipés en D2-MAC, avait fait le choix d'installer des programmes PAL sur son satellite, la norme à composantes la privant assurément d'une audience soutenue.
A l'instar de Ruppert Murdoch, grande figure britannique de la diffusion satellitaire, la S.E.S. ne voulait pas faire de la télévision pour les aveugles.
Depuis, parmi les 3 satellites ASTRA exploités, on compte quelques chaînes en D2-MAC.
Aucun accord ne peut être trouvé en juin. Le temps passe et l'horizon se bouche davantage, tant pour les grandes réalisations nationales prestigieuses que pour le projet européen.
Le bilan des dix premières années du plan de câblage en France est catastrophique: Le programme a nécessité une vingtaine de milliards de francs, le taux de pénétration (pourcentage d'abonnés effectifs par rapport aux foyers câblés) est de 15% à 18% et le taux moyen de désabonnement est de 25%.
L'exploitation du système en l'état actuel des choses est ruineux.
Du côté satellite et TVHD, TDF 1/2, qui doivent diffuser des programmes D2-MAC en direct, fonctionnent mal. Les diffuseurs de programmes (dont Canal Plus) ne sont donc pas en mesure d'installer leurs programmes sur le satellite. De plus, les opérateurs sont confrontés à des difficultés "terrestres":
1: Les téléviseurs 16/9 destinés à recevoir les programmes D2-MAC dans les conditions optimales du standard (image en format 16/9, son stéréo numérique) sont rares et chers. Les opérateurs qui ont investi pour diffuser régulièrement dans ce standard n'ont donc que peu de débouchés.
Il est aussi navrant de constater que si les téléviseurs de la nouvelle génération affichant le 16/9 sont disponibles, ceux-ci ne disposent pas d'un décodeur D2-MAC intégré (le très cher Space System de Thomson excepté). Les réseaux de distribution des nouveaux appareils semblent aussi mal informés. Est-ce pour pousser les consommateurs à l'achat, quitte à abuser d'arguments mensongers, ou par ignorance ?
Les vendeurs affirment souvent en présentant un téléviseur 16/9 qu'il suffit de le raccorder au réseau classique pour bénéficier du nouveau format et du son stéréo. Aucune allusion n'est faite à la norme D2-MAC. Ils connaissent mal l'offre de programmes 16/9, les moyens d'en bénéficier et mélangent allègrement normes et procédés de distribution. Force est de constater que les choses n'ont guère évolué depuis.
Le résultat est inévitablement néfaste à la compréhension du public et à l'accueil qu'il est prêt à faire à la TVHD. Devant les contradictions auxquelles ils se heurtent lorsqu'ils étudient le sujet, les consommateurs pourraient se désintéresser de la question, faute d'y voir clair.
2: Télécom 2, un satellite prévu pour diffuser lui aussi en D2-MAC, diffuse d'abord un bouquet de programmes proposé par Canal Plus. La diffusion se fait en SECAM 4/3. France Télécom est irrité par le choix de son partenaire dans l'entreprise de vulgarisation du D2-MAC. France Télécom se contenterait d'une diffusion D2-MAC en 4/3.
En agissant comme il le fait, le président de Canal Plus, André Rousselet, prend le parti des diffuseurs. Il déclare: <<Nous croyons à la norme D2-MAC quand elle est accompagnée du format 16/9 mais proposer aux téléspectateurs des programmes D2-MAC au format classique du 4/3 n'a véritablement qu'un seul avantage, celui du son stéréophonique>>.
Dans un deuxième temps, Canal Plus sera aussi diffusé en D2-MAC 16/9 sur Télécom 2.
En novembre 1991, les débats reprennent, à Bruxelles cette fois. Une décision trop restrictive serait très mal perçue par la majorité des professionnels. C'est la suite des débats du mois de juin qui se déroulaient à Luxembourg. Les mêmes comportements et discours amènent les mêmes blocages dans les discussions.
On s'achemine vers une possibilité de simulcast (diffusion simultanée d'un programme dans plusieurs standards). C'est aussi la stratégie complète de l'Europe de la TVHD en deux temps qui fait l'objet de critiques et de blocages incessants.
La thèse du passage obligé par D2-MAC vers la haute définition est contestée avec vigueur par les radiodiffuseurs. Les normes à technologie MAC sont essentiellement analogiques (Multiplex Analogue Components) et les professionnels ne leur prédisent qu'un avenir limité, voire pas d'avenir du tout. Il suffit en effet de considérer les réactions recueillies auprès des professionnels à la suite des démonstrations HD-MAC aux Jeux Olympiques d'Albertville (puis de Barcelone) pour constater que la qualité de cette TVHD européenne est trop approximative pour qu'on puisse prétendre en faire la future norme pour la TVHD.
En effet, si les prises de vues en TVHD traitées à l'intérieur des cars-régies avant retransmission sur le satellite étaient vraiment en haute définition et irréprochables au niveau du piqué ("vraie" TVHD 1.250/50), les images destinées à la transmission satellitaire lors de ces événements sportifs étaient gérées par un système qui décompose l'image à diffuser en trois vecteurs, selon que l'on affiche un objet statique, en léger mouvement ou en mouvement rapide. Les parties statiques sont gérées en vraie haute définition à 1.250 lignes, les mouvements rapides sont affichés via une définition D2-MAC et les déplacements à vitesse intermédiaire sont traités avec une définition de compromis.
Le résultat était, selon des "spectateurs à l'œil averti", une image qui nécessitait une certaine adaptation de la vision, un besoin de se reculer par rapport à l'écran (alors que la TVHD est plutôt faite pour se "plonger" dans l'action) et un réel inconfort, du fait de la définition globale, "hésitante", de l'image retransmise, lorsque l'on essayait de cadrer "à la façon haute définition 16/9" (voir la partie sur la composition de l'image large).
Pour la seule couverture des événements olympiques en Savoie avaient été mobilisées quelques trente-cinq caméras HD réparties dans neuf unités mobiles. Trente magnétoscopes, six générateurs de ralenti, deux unités de codage HD-MAC (une Thomson et une Philips) et pas moins de trois cents techniciens européens spécialisés. Ils étaient issus de la RAI, de la télévision espagnole (RTVE), de la télévision autrichienne (ORF), de Thames TV, des télévisions scandinaves, d'Antenne 2, de la SFP, de FR 3 et de producteurs privés. C'est l'association Savoie 1250 qui s'est chargée de la promotion de la télévision européenne lors des J.O. d'Albertville.
Le budget de fonctionnement de Savoie 1250 s'élevait à 90 millions de francs, dont 52 millions de francs provenaient du Ministère de l'Industrie et du Commerce Extérieur. S'y ajoutait le montant des prestations fournies par le groupe France Télécom et le G.I.E.E. Vision 1250 soit respectivement 22 millions de francs et 2,5 millions d'ECU (environ 18 MF).
En matière de vraie TVHD, les radiodiffuseurs sont davantage séduits par les possibilités de normes numériques, surtout parce que les informations numériques compressées sont moins exigeantes en bande passante (un signal HD-MAC utilise cinq fois plus de place qu'un signal classique) et, ainsi, permettent certainement une diffusion HD par voie hertzienne. A cet égard, ils suivent avec intérêt les développements en la matière aux Etats-Unis, où les travaux consistent surtout à mettre au point des algorithmes de compression puissants et traités rapidement par le matériel.
La compression numérique repose d'abord sur le codage des signaux vidéo en langage binaire. Les suites de nombres sont ensuite analysées. La compression consiste d'une part, à ne pas diffuser une information plusieurs fois lorsque celle-ci peut être restituée par une sorte de "multiplication d'une information simple"; exemple: on ne considère pas une plage monochrome mais un point d'une certaine couleur, reproduit un certain nombre de fois. D'autre part, on ne transmet dans le réseau que les changements qui interviennent dans l'image. Le système est supposé pouvoir afficher une future image par la seule analyse d'une situation passée et présente. On ne transmet que ce qu'il n'avait pas prévu.
Explication: On utilise le même découpage en vecteurs de mouvement décrit précédemment (Expérience J.O. 1992). Puis, à partir d'une image de départ et de l'analyse de ces vecteurs, le procédé est fondé sur une anticipation de ce qui va suivre. Le récepteur, qui fonctionne sur le même modèle que le système de codage à la source, anticipe lui-aussi les images à venir; à partir de ses estimations, il affiche les images dont il calcule les coordonnées des points sans qu'il ait besoin de recevoir le moindre signal.
Lorsque "l'émetteur" constate un changement dans l'image qu'il n'avait pas "prévu" (un mouvement qui change d'orientation, un nouveau plan...), il "sait" que le récepteur sera incapable d'anticiper un tel bouleversement (puisqu'il "raisonne" de la même manière). C'est à ce moment seulement qu'un nouveau flux d'informations est transmis, pour rétablir la situation.
Un des premiers systèmes intéressants apparu aux Etats-Unis est le DigiCipher. Ce système, conçu par les laboratoires de Digital Instrument et le Massachusetts Institute of Technology, permettait à l'origine de diffuser deux chaînes en haute définition sur un même canal satellite. Une version pour la diffusion terrestre a également été développée. La compression numérique appliquée à des programmes traditionnels peut diffuser cinq à dix chaînes sur un seul canal de réseau câblé. Un progrès qui bouleverse l'économie des réseaux.
La transmission numérique en général est le support parfait des chaînes cryptées par les possibilités de codage qu'elle permet.
Les progrès dans la compression sont inhérents à une meilleure capacité des systèmes à anticiper et à mieux compacter toutes les informations redondantes dans une image. Cela passe par une puissance (donc une rapidité) de calcul sans cesse accrue des microprocesseurs.
Les industries européennes dans leur grande majorité ont longtemps ignoré les travaux sur le numérique et continuaient d'engloutir des fonds communautaires, et une grande partie de leurs budgets R&D également, dans des actions en faveur des normes MAC, décriées avec insistance comme nous l'avons vu plus haut. Dans le même temps, plusieurs filiales américaines de sociétés européennes (celles de Thomson, par exemple) se penchaient sur la compression numérique pour la diffusion.
L'adoption de l'itinéraire imaginé par l'industrie européenne et tenté d'être imposé à la Communauté aurait signifié pour le téléspectateur le franchissement de deux seuils d'incompatibilité au niveau de l'équipement de réception, le premier au passage PAL/SECAM au D2-MAC et le deuxième entre le HD-MAC et une norme plus évoluée numérique qui aurait été de toute façon développée un jour ou l'autre, ne serait-ce que sous l'influence des travaux américains.
Les milieux professionnels européens sont convaincus qu'ils peuvent éviter cette voie raboteuse à leurs clients en interdisant l'adoption d'une nouvelle norme analogique. La solution consisterait à continuer dans la voie actuelle, éventuellement pour ceux que cela intéresse à se servir de la norme compatible PAL-Plus, et d'attendre l'arrivée d'une norme numérique desservant tous les supports de distribution: le terrestre, le satellite et le câble.
Quoi qu'il en soit, les principaux producteurs d'image sont d'ores et déjà équipés en techniques numériques de studio et de cars-régies et les utilisent régulièrement.
la nouvelle directive D2-MAC et le Memorandum of Understanding:
Le 12 mai 1992 une nouvelle directive sur les normes de diffusion par satellite a été adoptée. Elle devait rester en vigueur jusqu'au 31 décembre 1998. Ses exigences étaient largement atténuées par rapport au projet initial. Les principales mesures ne s'appliquaient pas aux signaux numériques et pour les autres, prescrivaient le D2-MAC pour les programmes 16/9. Le format 4/3 n'était concerné que pour les chaînes lancées à partir du 1er. janvier 1995.
La directive était assortie de deux obligations de la part des Communautés européennes. La première consistait dans la nécessité de signer avec les opérateurs des conventions séparées appelées "Memonrandum of Understanding" (M.o.U.). Les signataires des M.o.U. devaient s'accorder pour promouvoir les nouveaux services télévisés par D2-MAC 16/9.
La seconde consistait à mettre à la disposition des projets sortant de ces M.o.U. des fonds communautaires importants.
C'est sur ce dernier point que le montage imaginé par la directive a finalement capoté avec le refus britannique à la Communauté de voter une enveloppe budgétaire des 840 millions d'ECU à ces fins.
Cependant la stratégie européenne n'a
pas uniquement souffert de l'opposition des opérateurs aux
choix techniques.
3.4.3 Une recherche inutilement surprotégée des contacts extérieurs:
S'il est évident que des technologies militairement "trop sensibles" ne doivent pas êtres divulguées à la concurrence, une collaboration peut être envisagée en ce qui concerne des recherches fondamentales. Pour avoir refusé tout échange, le Japon et l'Europe ont commis des erreurs et connus des difficultés plus importantes que si un partage des expériences avait été pratiqué. Paradoxalement, malgré l'absence de contact les approches nippone et européenne ont été empreintes de caractéristiques communes.
En effet, on constate que les approches ont été semblables dans les technologies retenues, dans le mode de distribution et le souci d'organiser un cadre légal contraignant a été commun aux deux parties. Celles-ci ont négligé toutes les deux l'aspect fondamental des réseaux hertziens dans l'univers économique de la télévision et ne se sont pas assurés le concours volontaire des producteurs et diffuseurs pour ce qui concerne la diffusion.
Le Japon et l'Europe s'inscrivent dans ce que la théorie des jeux appelle "le dilemme des prisonniers". Dans cette théorie deux individus sont emprisonnés pour un délit dans deux cellules différentes. Le sort de chacun d'entre-eux est lié à l'autre, mais ils ne peuvent communiquer pour échanger des informations grâce auxquelles ils pourraient construire un alibi commun. Dans le cadre d'un isolement, chaque individu est tenté de faire considérer l'autre comme instigateur de l'action, afin que, pense-t-il, sa responsabilité soit atténuée.
Si les deux personnes se conduisent de cette manière, elles se mettront dans une situation beaucoup plus pénalisante que si elles avaient mis au point une version commune et gardé le silence par la suite.
Appliqué aux comportements du Japon et de la France, cet exemple nous apprend qu'il est utile de communiquer et de reconnaître que les actions sont interdépendantes. Le prix payé par ces deux parties a été l'échec commercial total des approches japonaise et européenne de la TVHD. Les deux industries ont cependant pris acte des expériences passées.
Ainsi, les premières rencontres entre Français et Japonais se sont déroulées fin 1991. Le ministre des Postes et Télécommunications français et son homologue japonais se sont accordés en vue de former un groupe de travail commun associant les industriels des deux pays. Il doit mettre au point un système rendant compatible les normes de production TVHD nippone et européenne. Des observateurs voyaient dans cette démarche une tentative de riposte contre les progrès de la télévision numérique aux Etats-Unis.
3.4.4 Pas de remise en cause de la stratégie européenne:
Le dogmatisme des principaux animateurs de la télévision haute définition en Europe interdit dans un premier temps toute remise en cause de la stratégie choisie ainsi que toute remarque à son encontre. Les projets de recherche concurrents sont également mal perçus.
Ainsi, un rapport ministériel confidentiel terminé en décembre 1990 (Centre d'Analyse et de Prévision du Ministère des Affaires Etrangères) recense les défauts de la norme MAC ardemment défendue par les industriels européens Thomson et Philips. L'auteur du rapport suggère un éventuel arrêt des technologies MAC et un développement de procédé numérique (L'auteur, Thierry Miléo, s'appuie sur l'avancée rapide des travaux américains).
La divulgation du rapport le 11 février 1991, grâce à une fuite habilement orchestrée, trouble bon nombre de responsables politiques et d'industriels. Ainsi, les responsables de Thomson (entreprise qui, précisément, présentait ce 11 février son téléviseur Space System destiné à recevoir les programmes en D2-MAC) relayés par les ministres des P&T et de l'industrie (Messieurs Rausch et Quillès) parlent de désinformation, dénoncent un complot des chaînes et accusent le fonctionnaire auteur du rapport de n'être qu'un <<stagiaire>> et le C.A.P. d'être à la solde des diffuseurs hostiles à la norme française, allusion à peine voilée à la S.E.S. et au réseau du Britannique Murdoch.
Tentative malheureuse pour étouffer un débat inéluctable sur les qualités intrinsèques des normes MAC. Depuis trois ans, le groupe italien Telettra développait, en association avec la R.A.I., un système de télévision haute définition intégralement numérique dans le cadre du programme de recherche communautaire Eurêka 256. La technique existe bel et bien et a été expérimentée avec succès lors du Mondial de football italien en 1990. Soudainement, les Italiens ont cessé de faire la promotion de leur système à partir du moment où leur gouvernement a assuré la présidence de la Communauté et que Telettra a été rachetée par Alcatel.
Un mois après avoir pris connaissance du rapport du CAP, la direction générale des relations culturelles scientifiques et techniques du ministère des affaires étrangères rédigeait une note dans laquelle on pouvait lire:
<<Il convient de se préparer à l'idée qu'un abandon du HD-MAC peut se révéler souhaitable d'ici un an. Cette idée est difficile à accepter pour tous ceux, chercheurs et industriels, qui l'ont poussée depuis dix ans. Les pouvoirs publics doivent compter avec cette difficulté>>.
Ce qu'il y a de plus étonnant dans l'approche des industriels européens jusqu'à un passé très récent c'est son manque de souplesse. Cela l'est d'autant plus dans un secteur, l'électronique, où les progrès sont très rapides. Pour preuve, les termes employés pour décrire les projets de Thomson en matière de HD-MAC en mai 1991, par son Président Alain Gomez. A un journaliste qui demandait si l'apparition d'une norme américaine haute définition et entièrement numérique ne remettait pas en cause la stratégie à "deux épisodes" (D2-MAC et HD-MAC), le PDG répondait:
"Nous prenons cela très calmement, et il n'y a pas l'ombre d'un problème [...] la solution américaine ne sera pas prête avant l'an 2000.[...] D'ici là, nous avons dix ans pour imposer la filière Mac en Europe".
Dans ce même dialogue, Alain Gomez affirmait avoir
repris l'avantage sur le Japon dans la recherche technologique. Dans
le même temps, alors que les industriels européens ne
sortaient pas de produits susceptibles de montrer au public la
réalité de cette avance, la firme Sony
présentait un téléviseur capable de recevoir
dans les normes classiques mais aussi en D2-MAC (donc avec une
compatibilité HD-MAC). Mais le pire restait à venir,
dans le domaine de la production TVHD.
3.4.5 La production HD mal partie ou "la nouvelle affaire Seznec":
Si la norme de transmission n'est pas prête ou adoptée par la Communauté, on peut quand même s'enquérir de réaliser dès aujourd'hui des films adaptés à la télévision de haute qualité d'image et de son. Certains réalisateurs se sont alors tournés vers le cinéma. En effet, les seuls programmes dont on soit certain aujourd'hui qu'ils pourront alimenter de façon optimale les réseaux de TVHD de demain, sont les productions 35mm. La haute résolution de l'image sur pellicule en fait une matière première idéale pour la TVHD.
Faute de préparer au niveau européen un catalogue de programmes de télévision, une arrivée massive de productions adaptées aux nouvelles normes en provenance de l'étranger se prépare; depuis Hollywood.
Les studios californiens sont en effet des usines à fabriquer des séries et des fictions pour les réseaux commerciaux ("networks") qui n'ont juridiquement pas le droit de le faire pour leur propre compte. Sept mille heures de programmes pour la télévision ont été tournées en 1991, soit dix fois plus que pour le cinéma.
Comme depuis toujours ces produits sont exportés dans le monde entier, tout est tourné depuis plus de trente ans en 35mm de façon à pouvoir être codé dans n'importe quelle norme de télévision, sans déperdition de qualité.
Face à cette offre, l'Europe n'a pas grand chose à proposer. Produites à l'économie pour une diffusion essentiellement nationale, les séries télévisées européennes ont, dans leur majorité, été tournées en 16mm avec un son monophonique, voire en vidéo 625 lignes PAL ou SECAM. Ces productions ne peuvent pas être diffusées autrement qu'en format 4/3 et ont une résolution insuffisante pour pouvoir être exploitées en haute définition.
Lorsque les télédiffuseurs chercheront en vain des images européennes pour alimenter leurs chaînes haute définition (ne serait-ce que pour respecter des quotas de diffusion là où ils existent) et quand les producteurs indépendants seront contraints de réviser leurs bilans pour tenir compte de la dévalorisation de leurs catalogues frappés d'obsolescence, ils regretteront de ne pas avoir préparé l'avenir.
L'une des façons les plus simples de le faire serait de tourner dès aujourd'hui les programmes de stock en 35mm ou super-16 (il s'agit d'un film cinéma de 16mm, de format d'image homothétique à celui du cinéma 35mm classique) avec son numérique. Certains réalisateurs commencent cependant à le faire, souvent aux frais de leurs sociétés de production, les chaînes rechignant souvent devant la dépense supplémentaire.
Réaliser maintenant pour assurer un stock (en veillant à ce qu'il soit exploitable dans l'environnement commercial et technique d'aujourd'hui), c'est pour les producteurs le moyen de garantir la pérennité de leurs investissements, qui ne deviennent rentables, en moyenne, que cinq ans après le tournage, notamment grâce aux rediffusions. Un film tourné en 1993 "gagnera de l'argent" en 1998.
Selon un professionnel de l'image, on doit maintenant "produire en haute définition ou mourir" si l'on ne veut pas, dans quelques années, "regarder des programmes américains sur du matériel japonais".
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Réaliser en haute définition, c'est justement ce que souhaitait le réalisateur Yves Boisset pour son film retraçant "l'affaire Seznec". En 1991, ayant entendu parlé de subventions accordées aux fictions lourdes utilisant la haute définition, Yves Boisset pris contact avec Vision 1.250 et monta un dossier. Il fut décidé d'utiliser la norme de production vidéo HD européenne et une subvention de huit millions de francs devait parvenir des instances européennes.
Dès le début, des difficultés apparurent à cause de la lourdeur du matériel employé. Il était impossible de tourner en extérieur, en particulier en Guyane où se déroule une partie de l'action. La TVHD sera réservée aux prises de vues en studio.
Très vite, un dépassement du budget apparu inévitable. De plus, un quart seulement des subventions attendues de Bruxelles était parvenu à la production. Le surcoût dû à la haute définition atteignait 4,5 millions de francs. A ce stade, le film doit son sauvetage à une intervention massive du Conseil National du... Cinéma.
Sur le tournage, les conditions ne sont pas idéales. Pour enregistrer les 1.250 lignes on utilise deux magnétoscopes qui enregistrent chacun une demi-trame de 625 lignes. C'est en additionnant "ces deux moitiés" que l'on obtient la haute définition. Il faut attendre que les deux appareils soient en phase, en convergence, pour tourner chaque plan.
Aussi, les viseurs des caméras ne permettent pas de savoir si l'opération de reconstitution de l'image est réussie: ce qui était net pour le cadreur était flou pour la régie finale. Les mouvements d'appareils pouvaient détruire un équilibre qui avait été difficilement atteint et des effets de rémanence lumineuse apparaissaient sur les tubes des caméras.
Par ailleurs, il faut cinq fois plus de lumière pour éclairer en haute définition que sur un tournage cinéma en 35mm. La chaleur était telle que l'équipe technique s'est amusée à placer une saucisse sur un siège, au centre du plateau. Elle <<était quasiment cuite en vingt-trois minutes !>>.
Thomson avait assuré pouvoir transférer la partie HD sur film cinéma 35mm. Chaque essai est revenu à près de 100.000 francs et toutes les tentatives se soldèrent par un échec. La société française n'a pas semblé vouloir s'intéresser aux causes de tous les problèmes. En revanche, les responsables de Sony étaient prêts à financer un rapport pour savoir ce qui s'était passé sur le tournage...
3.5 Changement de cap:
3.5.1 Février 1993: fin des illusions pour le HD-MAC
Face aux réticences de plusieurs partenaires européennes quant à l'aide financière massive à apporter au plan de développement de la TVHD tel qu'il a toujours été envisagé en Europe, Philips renonce à lancer la production de téléviseurs dans la norme HD-MAC.
Cette décision devait tenir à l'origine tant que les aides à la production de programmes n'étaient pas débloquées. Cependant, c'est une belle occasion d'arrêter "les frais" dans une technique discréditée par les progrès dans le numérique, la troisième voie.
Thomson Consumer Electronics (T.C.E.) se refuse, lui, à remettre en cause son engagement dans la filière européenne. Mais les faits sont là: T.C.E. accentue lui aussi son effort dans la technologie numérique. Le groupe a investi 75 millions de francs dans une prise de participation de 10% de Compression Labs, spécialiste américain de la compression des signaux digitaux audio et vidéo.
Comme les Européens ne sont pas aussi avancés que les Américains dans la recherche sur cette technologie d'avenir, ils ont bien dû se rapprocher de ceux dont les travaux sont les plus prometteurs. Ainsi, Thomson et Philips se sont associés à la chaîne NBC et à Texas Instruments.
3.5.2 Juin 1993: Les Douze adoptent le plan minimal:
Après le veto britannique aux mesures de la directive de mai 1992, un accord était indispensable pour sauver la production d'image. L'accord est intervenu le 16 juin 1993. Il ne s'agit désormais plus que d'une aide à la création en format 16/9, et à la promotion du format, sans aucune référence à une norme, à une définition d'image (625 ou 1.250 lignes) ou même à un mode de transmission. Le "plan d'action" prévoit une aide de 228 millions d'ECU sur quatre ans. Les fonds communautaires ne couvriront au maximum que 50% des coûts supplémentaires induits par le passage du 4/3 au 16/9.
Seuls les télédiffuseurs assurant plus de 50 heures par an de services 16/9 bénéficieront des aides. Enfin, le texte prévoit la prise en compte du développement de toute technologie nouvelle.
L'approche européenne a, certes, permis d'éviter que la norme nippone de TVHD ne s'impose sur le plan mondial, mais elle n'a pas résisté aux vieux démons d'une politique industrielle qui privilégie la technologie plutôt que le marché.
Le Conseil européen a demandé à la Commission de fournir pour octobre un rapport sur le développement, tant en Europe que dans les autres régions du monde, des nouvelles normes, en particulier le numérique.
3.5.3 Septembre 1993: le tournant officiel du numérique
Très récemment, le 10 septembre 1993, à Bonn, quatre-vingts industriels, diffuseurs et représentants des pouvoirs publics de la Communauté européenne, ont signé dans la plus grande discrétion une déclaration d'intention par laquelle ils s'engagent à promouvoir une norme numérique de TVHD.
L'accord rassemble, entre autres, Thomson, Nokia et Philips pour les industriels, des institutions dont France Télécom, les ministères allemand et français des P&T, des diffuseurs (la CLT, Canal+, BSkyB, TF1, France Télévision, BBC, ZDF...) et des opérateurs de satellites (SES, Eutelsat et Hispasat). C'est la première fois que tous les métiers sont ainsi rassemblés, tandis que les politiques ont été fermement invités à rester en dehors des négociations.
Par ailleurs, Norvégiens et Suisses ont participés aux discussions; en outre des Américains (Genenral Electric) et Japonais (Sony) pourraient se joindre prochainement au groupe européen.
On l'a dit, l'accord a été signé dans la plus grande discrétion. S'il signifie le début d'une nouvelle ére, il est également "l'acte de décès" de la filière MAC, irrévocablement abandonnée. Les errements passés de l'Europe en la matière auront coûté plus de trente milliards de francs.
3.5.4 Leçons pour l'avenir
L'histoire de la TVHD européenne peut apporter les enseignements suivants:
1: Les nouvelles techniques ne s'imposeront pas tant qu'elles n'offriront pas de perspectives équitables à la majorité des acteurs présents sur le marché. Les nouveaux services seront confrontés à d'énormes difficultés de financement et de démarrage s'ils font appel à des nouvelles techniques, hors de la structure traditionnelle d'intégration verticale de la radiodiffusion.
2: Les fabricants d'appareils électroniques grand public sont toujours prêts à s'enthousiasmer pour les nouvelles techniques au stade du laboratoire et les perspectives de nouveaux produits, mais il faut savoir les convaincre de la viabilité commerciale de services ayant recours à ces techniques ou systèmes novateurs. Dans le cas contraire, ils refuseront d'investir les montants nécessaires lorsqu'il faudra commencer à produire le matériel mis au point.
3: Ces mêmes fabricants refuseront d'investir en outils de production tant que la technique se trouve encore dans une phase d'évolution rapide et que des normes claires n'ont pas été adoptées.
4: Toute norme technique adoptée avant que le marché ne soit prêt au lancement d'un système ne fera qu'ajouter à la confusion. La technique ne manquera pas d'évoluer entre l'adoption et le lancement effectif et des pressions fortes et incontrôlées pousseront à se démarquer de la norme.
Ces points-clé dépendent tout d'abord d'une bonne compréhension du marché des nouveaux services et des contraintes auxquelles seront soumis les nouveaux systèmes. Cette analyse doit servir de base à la définition de ces nouvelles offres.
Cette dernière est particulièrement délicate, car elle doit tenir compte de l'évolution de la technologie numérique et des logiciels connexes au cours des vingt ou trente prochaines années.
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Après cet exposé de "l'ère primaire" de la TVHD européenne, découvrons maintenant plus en détails les voies choisies par le Japon et les Etats-Unis.
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