LE CHANTIER EUROPEEN
DE LA
TELEVISION HAUTE DEFINITION
LES ENJEUX DE LA TVHD
Le développement, la mise sur le marché et l'exploitation
des "produits TVHD" mettent en jeu des intérêts économiques
dans le secteur de l'industrie électronique et dans celui de l'offre
télévisée. Cette innovation a également un
impact culturel.
2.1 Les enjeux économiques:
La TVHD aura des retombées économiques dans trois secteurs: l'industrie électronique (pour les produits grand public), les matériels professionnels et l'industrie des composants.
Les enjeux économiques ne dépendent pas uniquement des normes de production et de diffusion. Ils sont avant tout liés à la capacité industrielle des acteurs présents sur ces trois marchés. En effet, une norme ne protège le marché d'un pays que dans le cas où la concurrence est incapable, pour des raisons techniques ou financières, de produire dans cette norme.
A ce sujet, on peut évoquer le fait que les standards industriels, dont ceux de télédiffusion, ont été à plusieurs reprises utilisés comme des instruments de lutte contre la concurrence. On peut les considérer comme des barrières commerciales non douanières. Il s'agissait de protéger des industries électroniques nationales, de créer des avantages commerciaux, d'exclure des industries du marché ou bien de répondre à un souci de prestige national (1). D'un autre coté, si de tels comportements créèrent des marchés nationaux ou régionaux, ils contribuèrent à fragmenter le marché mondial, à augmenter les coûts de production (car les économies d'échelle ne peuvent pas jouer complètement) ou compliquèrent les échanges de programmes. Les consommateurs connaissent également des problèmes de compatibilité entre le matériel acquit dans différentes régions du monde. De tels comportements sont souvent dictés par des considérations purement techniques plutôt que par une analyse critique des implications économiques, des conséquences financières et des conditions du marché. A chaque fois, un produit lancé dans de telles conditions a fait perdre des opportunités commerciales à son producteur (comme une dilution de sa force dans la compétition internationale).
_______________________________________________________________________
(1) Sur ce dernier point, nous évoquerons, dans une prochaine
partie, les raisons qui ont conduit la France à adopter son standard
de télédiffusion en couleurs.
Dans le domaine de la télévision, cette situation -à
propos des standards de diffusion- perdura jusqu'à un passé
récent où les progrès réalisés dans
le domaine des semi-conducteurs et de l'électronique en général
autorisèrent la fabrication en série, et pour un coût
raisonnable, de téléviseurs pouvant recevoir dans une vingtaine
de standards. De plus, les décisions au niveau des acteurs de l'image,
à tous les échelons de la chaîne, étant de plus
en plus prises au regard de leurs conséquences économiques
et financières, une certaine rationalisation est apparue. Ainsi,
la production dans les studios européens se fait dorénavant
majoritairement dans une seule norme alors que deux cohabitaient il n'y
a encore pas si longtemps.
2.1.1 L'industrie électronique pour les produits grand public:
On voit sur le tableau suivant que le Japon domine les marchés de l'électronique grand public et les composants, alors que les Etats-Unis sont très présents dans l'informatique et les logiciels et services. L'Europe est leader dans les télécoms.
PARTS DE MARCHES DETENUES PAR LES ETATS-UNIS, L'EUROPE ET LE JAPON
SUR LE MARCHE DE L'ELECTRONIQUE EN 1990
Etats-Unis Japon Europe
Electronique grand public 6% 55% 16%
Composants 29% 52% 13%
Télécoms 26% 23% 35%
Informatique 58% 25% 10%
Logiciels et services 57% 12% 22%
Source: A. Moreau, Rapport du Ministère des Affaires européennes,
Paris, avril 1991.
La production mondiale dans l'électronique grand public a atteint en 1990 environ 640 milliards de francs. La filière image compte pour 64% du marché total alors que les produits audio représentent 36%.
Le téléviseur couleur est le produit de base de l'équipement des ménages, mais ce marché apparaît en relative stagnation. Le marché des magnétoscopes reste en expansion mais sa croissance devrait se ralentir.
En revanche, le marché des camescopes et des lecteurs de vidéodisques
connaît des taux de croissance importants avec des volumes qui restent
cependant limités.
En 1990, le Japon assurait près de 55% de la production mondiale du secteur de l'électronique grand public. Confrontée depuis la fin des années soixante-dix à la concurrence japonaise et coréenne, l'industrie européenne s'est engagée dans un processus de concentration industrielle qui a donné une position dominante à Philips et à Thomson. Mais la part de l'Europe dans la production mondiale est variable selon les produits. Elle est importante pour les téléviseurs couleur (30%), faible pour les récepteurs de radio, les magnétoscopes et les lecteurs de lasers disques compacts, inexistante pour les caméras vidéo et les camescopes. Aux Etats-Unis, le marché est désormais dominé par les producteurs japonais et européens; il ne reste qu'un seul producteur américain, Zenith Electronics, qui détenait, en 1988, 14% du marché américain de la télévision couleur.
Les perspectives de renouvellement du parc mondial de téléviseurs
sont très importantes. A terme, ce marché peut être
évalué à 3.000 milliards de francs, soit 750 millions
de téléviseurs remplacés par des postes de télévision
HD d'une valeur de 4.000 francs (prix unitaire qui semble bien faible).
2.1.2 Les matériels professionnels:
Parmi ces matériels, on trouve: des caméras, des magnétoscopes, des télécinémas, des analyseurs d'images, des mélangeurs et des générateurs d'images de synthèse et d'effets spéciaux. A l'intérieur de ces matériels on trouve des composants qui, pour certains d'entre eux, réclament des technologies très pointues, comme les unités de calculs que l'on trouve dans les générateurs d'effets spéciaux.
Le Japon est présent sur tous les créneaux des matériels professionnels, ce qui n'est pas le cas de l'Europe. Pour les Européens, il s'agit d'éviter que les Japonais puissent disposer d'un monopole sur ces matériels, avec toutes les conséquences économiques et stratégiques que cette situation entraînerait.
La norme de production dépend étroitement de la mise au point de matériels professionnels. Inversement, comme on l'a déjà vu, la fabrication de nouveau matériel dépend du choix bien défini de la norme.
En 1989, le secteur des matériels professionnels représente
un marché d'environ 2 milliards de dollars.
2.1.3 Les composants électroniques:
On estime que le contenu d'un récepteur de télévision couleur en composants semi-conducteurs s'élève actuellement à 30%. Ce contenu devrait s'élever à 85% ou 90% pour les récepteurs de télévision haute définition.
En 1990, la production européenne de semi-conducteurs représentait 13% du total de la production mondiale, la part japonaise était de 52%.
L'industrie européenne des semi-conducteurs connaît d'importantes difficultés alors que les fabricants japonais dominent de façon grandissante le marché. En 1990, Philips se plaçait à la neuvième place des fabricants mondiaux de ce type de composants et SGS Thomson, à la douzième place avec 3% du marché et un chiffre d'affaires de 800 millions de dollars.
Il est nécessaire, pour que les fabricants européens de récepteurs de télévision soient compétitifs, qu'ils disposent en Europe d'un approvisionnement en semi-conducteurs qui soit sûr et le moins coûteux possible. A l'inverse, un programme européen de TVHD est la garantie de débouchés importants pour les fabricants de semi-conducteurs.
Pour les Américains, la production de semi-conducteurs revêt
un caractère stratégique. Leur système de défense
est très électronisé. Le gouvernement des Etats-Unis
est soucieux de contrôler son approvisionnement en composants, d'où
son intérêt pour la TVHD dans la mesure où celle-ci
pourrait renforcer le rôle prépondérant du Japon dans
le domaine des puces électroniques.
2.1.4 L'offre télévisée:
Avant d'envisager les premières conséquences de l'introduction de la TVHD dans l'univers de la télévision il convient de détailler les principales formes et "philosophies" de l'offre TV.
° les services publics: Il s'agit de chaînes financées principalement par des fonds publics qui offrent une programmation variée, susceptible d'intéresser le plus grand nombre, dite "généraliste".
° les télévisions privées financées
par la publicité: Les sociétés opératrices
de ce type de chaîne sont sous contrôle privé et trouvent
leur financement quasiment exclusivement par la vente (confiée à
une régie) d'espaces publicitaires sur leurs antennes. La principale
préoccupation de l'opérateur est d'obtenir une audience importante
afin de vendre l'espace publicitaire à des annonceurs qui sont assurés
que leurs messages seront perçus par un nombre important de personnes.
Ces chaînes sont souvent généralistes mais aussi quelquefois
thématiques, ou pratiquent une stratégie de "contre- programmation"
(M6, en France).
° les télévisions privées par abonnement: Les
ressources de la chaîne sont assurées par la souscription
d'abonnements de la part de téléspectateurs intéressés
par les programmes proposés par la chaîne. En conséquence,
les chaînes de ce type sont thématiques. L'abonnement permet
de suivre tous les programmes. Pour réserver l'accès à
la chaîne aux seuls abonnés la diffusion est codée;
pour suivre les programmes, l'abonné dispose chez lui d'un décodeur
mis à sa disposition par la chaîne.
° les télévisions payées à la séance
ou Pay-Per-View (P.P.V.): Ici, le téléspectateur muni d'un
décodeur accède à une chaîne, lorsqu'il le désire,
et paye le programme regardé, mais uniquement celui-ci. La "séance"
est enregistrée via le décodeur et inscrite au compte du
téléspectateur. Le paiement s'effectue par carte dédiée
au système et chargée de points. Ce type de chaîne
existe aux Etats-Unis. Une expérience en Europe est en cours à
Berlin.
° Near-Video-On-Demand (N.V.O.D.): Le téléspectateur
demande, par l'intermédiaire d'un réseau informatisé,
la diffusion d'un programme précis sur son téléviseur,
et uniquement le sien. Il s'agit plus d'un concept (américain) que
d'un produit actuellement disponible. Il le sera davantage avec les possibilités
nouvelles de la télévision du futur, en particulier avec
la numérisation du signal (nous reviendrons longuement sur ce dernier
point par la suite).
Etudions les conséquences de l'avènement de la TVHD pour les trois premières catégories de l'offre télévisée, les deux dernières étant (pour le moment...) marginales.
* Les services publics:
Il semble, tout d'abord, difficile de faire financer les investissements nécessaires à la production et diffusion des programmes TVHD uniquement par les moyens classiques, c'est à dire par la redevance. En effet, la réalisation dans les nouveaux standards réclame des matériels et des conditions tout à fait spécifiques. S'il est possible de créer deux types de redevances, une "noir et blanc" et une "couleur", pour financer un seul type de production, il semble alors logique de créer un troisième type "haute définition". Mais il serait le seul à financer le secteur "haute définition" du service public car les contribuables finançant les programmes classiques refuseraient de payer des services qu'ils n'utilisent pas.
Compte tenu du faible nombre de foyers équipés au début pour la haute définition, cette nouvelle offre de la part du service public serait certainement pénalisante pour lui si, rappelons-le, elle n'était pas massivement subventionnée par les pouvoirs publics.
De plus, au niveau des programmes qui doivent rester généralistes,
de larges tranches de la grille ne présentent que peu d'intérêt
à être vues et écoutées en haute définition.
* Les chaînes privées financées par la publicité:
Dans le cas de la télévision commerciale privée,
une chaîne haute définition ne peut pas s'autofinancer par
ses seules ressources publicitaires si son audience seule ne suffit pas
à séduire les annonceurs. Les milieux publicitaires ne sont
pas enclin à payer une prime pour l'innovation technique. Ils souhaitent
juste une large audience pour leurs messages. Il y a actuellement dans
le secteur publicitaire de nombreux facteurs qui ont tendance à
faire baisser les prix, dans la production du moins, et un grand nombre
de films est réalisé sur des supports et dans des formats
susceptibles d'être rapidement adaptés à la TVHD. On
retrouve aussi le problème de la pertinence à diffuser en
HD pour les chaînes généralistes dont seule une partie
de la grille permet de "goûter" à tous les avantages de la
haute définition. Ce type de télévision doit également
être conscient du niveau d'équipement des foyers car il ne
peut se permettre d'offrir un produit qui ne peut être regardé.
Le moment où la télévision commerciale pourra commencer à diffuser massivement en TVHD sera celui où la concurrence, adoptant les innovations technologiques, enregistrera des succès commerciaux. Cela peut sembler paradoxal mais il y a un exemple historique: la R.A.I. ne commença ses diffusions en couleurs qu'à partir du moment où les chaînes privées de Fininvest (Groupe Berlusconi) commencèrent à diffuser en couleurs et enregistrèrent une audience significative soutenue.
Ces chaînes n'adopteront les nouvelles technologies que parce
qu'elles offriront une audience accrue ou permettront de la conserver.
* Les chaînes privées par abonnement:
Il s'agit de la situation idéale. Ce format offre l'avantage de présenter une situation claire: Si le contenu est plaisant pour le téléspectateur, celui-ci s'abonne...et paye. En conséquence, la seule question est "Existe-il un marché pour le programme lui-même ?" , ce programme utilisant la TVHD et l'abonnement comprenant une part du coût engendré par celle-ci. Dès l'origine, grâce à une étude de marché, on saura si la chaîne a intérêt à s'équiper en technique HD.
***
2.2 Les enjeux culturels et les conséquences
dans le monde de l'image
2.2.1 Les potentialités:
La THVD proposera des images ayant une meilleure résolution qui,
aux yeux des téléspectateurs, paraîtront plus proches
de la réalité. Cependant, la véritable rupture dans
la reproduction du réel que la télévision du futur
pourrait provoquer est moins liée à l'amélioration
de la définition des images qu'à l'utilisation des outils
numériques de traitement de l'image, dont l'usage est déjà
de plus en plus répandu. Les images numériques peuvent être
"travaillées": on peut changer leurs couleurs ou certains de leurs
éléments, par exemple, supprimer certains des objets ou personnages.
Ce traitement technique des images est à la fois réjouissant
et inquiétant: réjouissant pour les perspectives qu'il ouvre
à la créativité des réalisateurs, inquiétant
par les possibilités de manipulation des images qu'il autorise.
Comme toutes les mutations dans le monde du travail, la TVHD nécessitera
une adaptation de la part des professionnels de la télévision.
2.2.2 Les conséquences:
La composition d'une image nouvelle a fait l'objet de recherches
de la part d'opérateurs qui sont soucieux d'adapter leur art à
l'emploi d'une définition étendue et d'un format plus large.
* La composition d'image:
Les principaux caractères d'un format élargi sont les
suivants:
° Le format 16/9 offre à l'action un autre espace, une autre
étendue pour la disposition des éléments de l'image.
La dimension horizontale est amplifiée, ce qui conduit à
favoriser des mises en scènes transversales par rapport à
l'axe de la caméra, comme les mises en scène de théâtre.
° Une autre caractéristique du format élargi est d'offrir
une scène à un plus grand nombre de sujets. L'équilibre
des masses ou des lignes sur cette plage plus riche met en jeu un plus
grand nombre de composants. Il sera, en règle générale,
plus complexe.
° L'angle de vision du format 16/9 est plus proche de l'angle de
vision naturel, ce qui conduit à rechercher une mise en scène
et un cadrage plus respectueux de ce champ de liberté. Les personnages
peuvent évoluer ensemble dans le champ de façon telle que
nous vivons la continuité de leurs mouvements et de leurs attitudes.
° La même caractéristique du format élargi -l'angle
plus large- impose à l'image qu'elle donne de la scène une
impression naturelle et non forcée. L'organisation de la scène
doit donc être plus subtile. L'effet doit être lisible mais
il ne peut pas être asséné comme un message publicitaire.
° L'élargissement du format n'apporte pas seulement une opportunité
nouvelle de traitement de la scène dans les deux dimensions de l'image
plane. Pour le passage de "la grandeur nature" à la "grandeur image",
le format élargi offre des possibilités supplémentaires
de composition en profondeur, en jouant sur les divers plans le long de
l'axe de la caméra.
Il permet notamment de mieux rendre les relations entre ces plans successifs,
dans la mesure où un plus grand nombre d'éléments
d'image peuvent être visualisés simultanément dans
le cadre élargi.
° Le format d'image élargi conduit à un choix différent
des angles de prises de vues et des plans. Cette caractéristique
est une conséquence des remarques qui précèdent. L'élargissement
du champ va de pair, automatiquement, avec un plus grand nombre de plans
généraux.
Le format 16/9, parmi les nouveaux attributs qu'il confère à
l'image et à sa réalisation, autorise un cadrage beaucoup
plus statique des scènes que l'on filme. La partie visible à
l'écran étant beaucoup plus large que sur un récepteur
classique 4/3, on peut se permettre de déplacer son regard sur l'écran
au lieu de manœuvrer les caméras pour suivre le mouvement; un peu
comme un spectateur, assistant à un match dans un stade, suit l'action
en cours sur le terrain en portant son regard à l'endroit qu'il
désire.
Comme ces caractéristiques sont propres au format 16/9, une prise de vue destinée à les exploiter ne saurait produire le même effet lors d'une diffusion du même programme en format 4/3.
D'un autre côté, les règles adoptées pour produire de bonnes images avec les matériels d'aujourd'hui (le format 4/3) sont inadaptées pour le nouveau format.
C'est un fait reconnu que le visage d'une personne ne peut être reproduit de façon satisfaisante qu'à l'échelle d'environ 1/1. En peinture, depuis des siècles, les grands portraits sont des portraits en pied mais le visage n'est pas pour autant agrandi. C'est un fait admis en télévision courante puisque les interviews et les débats présentent généralement leurs invités à une échelle d'environ 1/1. Mais lorsque les écrans de TVHD seront nettement plus grands (car la TVHD n'est vraiment rendue que par des écrans d'une dimension supérieure à 80cm) que ceux de la télévision 4/3 quid du gros plan ?
Sur le plan théorique aussi bien que sur le plan des applications en télévision, l'objectif d'une composition unique pour les formats 16/9 et 4/3 se heurte à des contradictions.
Des liens plus étroits s'établissent, pour le format large,
entre l'espace de l'image et le contenu du programme. L'entretien à
bâtons rompus d'un journaliste et d'un invité devra trouver
une nouvelle formulation si on veut éviter que le téléspectateur
ne s'ennuie à la vue des détails anodins qui entourent les
personnages. Mais alors, si la formule devient autre, quelle perte pour
le petit écran où le plan serré sur chacun des personnages,
ou sur les deux, convenait tellement bien.
Par ailleurs, le format 4/3 fait porter le regard au centre de l'écran.
Il est des émissions où l'essentiel se déroule au
centre de l'écran, les journaux télévisés.
Quel serait l'avantage d'un journal en 16/9 et les chaînes ne risqueraient-elles
pas, certaines fois, d'être accusées de faire "une mise-en-scène
de l'actualité" ?
Examinons maintenant le problème du montage. Dans la mesure où
le choix des plans pour l'image large diffère de celui pour l'image
étroite, et où le déroulement de l'action ne peut
s'y laisser conduire selon les mêmes règles, on doit raisonnablement
s'attendre à voir d'autres principes présider à l'enchaînement
des scènes.
La lecture d'une image plus complexe, dans la construction comme dans
les informations qu'elle contient, va naturellement conduire à un
montage plus lent. Il faut laisser à l'œil la possibilité
de "digérer" la grande quantité d'informations qu'elle contient
et la durée du plan doit laisser au spectateur le supplément
de temps nécessaire. Des études sur l'attitude des téléspectateurs
devant leurs écrans ont été réalisées
par la chaîne publique japonaise NHK. En étudiant le travail
de l'œil, on s'aperçoit que celui-ci "voyage". Dans un plan général,
le regard se déplace de façon erratique ou ordonnée
selon les relations du spectateur avec l'image, mais il y a déplacement
comme dans le champ de vision naturel. Dans ces conditions, les plans seront,
plus souvent qu'en télévision classique, des plans fixes.
Même les plans en mouvement répondront à un pas naturel
puisqu'ils seront de préférence des travellings plutôt
que des zooms. Le mouvement des caméras devra être tel qu'il
donne une impression plus réaliste de l'espace, autrement dit, qu'il
s'inspire du mouvement naturel du regard.
Le rythme du montage s'efforcera de raccorder les plans en respectant
la continuité d'évolution des travellings. En TVHD, C'est
moins le rythme du montage qui guide ou raconte, que l'image elle-même,
qui laisse s'exprimer la dynamique de l'action.
Des modifications aussi importantes doivent intervenir dans les domaines
de la conception des décors et de l'éclairage, la haute définition
faisant davantage ressortir les défauts pouvant passer inaperçus
actuellement.
Enfin, concernant les programmes, toutes les enquêtes montrent
que l'écran large offre un intérêt particulier aux
types de programmes suivants:
° les films
° les dramatiques
° les retransmissions sportives
° les spectacles
Le passage à la TVHD a également un impact non négligeable
sur la chaîne de production avec des implications financières
très importantes. Avec une modification des systèmes de traitement
des images, des systèmes de transmission, des matériels de
prises de vues dans un nouveau format, de la reproduction sonore ainsi
que des méthodes quotidiennes de travail, ce sont au moins cinq
changements révolutionnaires. Même si, les normes à
adopter s'imposaient d'évidence, que l'équipement nécessaire
était disponible et les ressources financières illimitées,
un seul de ces changements suffirait à bouleverser les plans des
responsables techniques. C'est un point qu'il convient de ne pas négliger.
La chaîne publique italienne RAI a estimé les conséquences
pour elle de tels bouleversements. Il ressort que la mise en œuvre simultanée
de ces cinq changements se traduirait dans la pratique par le remplacement
total des chaînes de reproduction, de distribution et de transmission.
Cela signifierait un investissement d'équipement de l'ordre de 1
milliard de dollars, 10 à 15 ans de travail intense et la perte
de valeur concomitante du fond de programmes actuel.
Les opérateurs ne se contentent pas de réfléchir
à la manière de modifier leurs chaînes de production,
mais aussi à la façon de rendre les programmes actuels réutilisables.
Il s'agit là d'un coût supplémentaire à prévoir.
Les archives ont aujourd'hui un rôle important. Il le sera encore
plus dans l'avenir.
Après cette présentation des enjeux que signifie la révolution
TVHD en Europe, voyons maintenant comment l'Europe a abordé ce dossier
et l'a fait évoluer.
Suite : Le projet européen de TVHD (1986. - 1993)
Retour au sommaire
Page d'accueil